Cet article ne mentionne pas la pression sociale que vivent les policers, les ordres absurdes qu’ils sont obligés d’appliquer, le conflit de loyauté qu’ils vivent, etc. Les policiers sont l’instrument d’application des décrets illégitimes depuis 2 ans et de la répression, comme nous en avons été témoins à Ottawa…
Voici l’article original, publié en français par « La Presse », écrit par Florence Martel le 13 avril 2022 :
Le nombre de consultations en santé mentale a bondi dans certains corps de police au Québec, selon les syndicats des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) et du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Au SPVM, le nombre de consultations est passé de 3200 en 2017 à 5000 en 2021, selon des chiffres fournis par la Fraternité des policiers et des policières de Montréal. De 2020 à 2021, on parle d’un bond du nombre de consultations d’environ 16 %. Une même personne peut avoir consulté plusieurs fois, nuance le président de la Fraternité, Yves Francœur, et les policiers sont aussi plus ouverts qu’avant à chercher de l’aide. Mais la hausse des demandes en santé mentale est indéniable, dit-il.
Chez les policiers actifs de la SQ, le nombre de dossiers recensés à l’organisme La Vigile, qui traite notamment des agents de la paix, des ambulanciers et des militaires en détresse, est passé de 219 en 2018 à 441 en 2021, révèlent les chiffres fournis par l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ). Un même dossier peut contenir plusieurs consultations, précise le syndicat.
Cette hausse des consultations s’expliquerait notamment par la fatigue pandémique, qui est exacerbée chez les agents de la paix. Sans compter l’augmentation d’interventions auprès de citoyens aux prises avec des problèmes de santé mentale.
Non seulement ils ont à prendre soin d’eux, mais ils ont à prendre soin de beaucoup plus de demandes [de la population] en santé psychologique.
François Lemay, président de la Fédération des policiers et des policières municipaux du Québec
Lydia Royer, intervenante sociale à La Vigile, observe « beaucoup d’anxiété et de détresse ». Avec la crise sanitaire, il y a moins « de facteurs de protection », comme l’entourage et les activités « qui font du bien ». « Ça peut amener un déséquilibre plus rapidement », avance-t-elle.
L’effet des réseaux sociaux
Selon Dominic Ricard, président de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec, il y a aussi « l’environnement social qui est plus néfaste qu’avant ». Le travail des policiers est vivement critiqué sur les réseaux sociaux, illustre-t-il. « Parfois, tu dois travailler rapidement dans un milieu hostile et prendre des mesures plus robustes pour éviter une escalade, rapporte-t-il. Dans un contexte où tu te retrouves filmé, il y a toutes sortes de réactions. » Selon Yves Francœur, les vidéos circulant sur les réseaux sociaux qui ne montrent que des extraits d’interventions policières créent « un sentiment d’injustice » chez les agents de la paix.
M. Ricard dit ne pas avoir de problème « à ce qu’on se pose des questions ». « Mais le jugement populaire est très, très, très rapide. »
L’été dernier, Alex Marcotte, alors policier à la SQ à Senneterre, en Abitibi-Témiscamingue, a été filmé lors d’une intervention. Il a d’abord tenté de maîtriser seul un homme en crise. Sans succès.
À moins d’être Hulk, il n’y a pas 10 000 façons de régler une situation comme ça. Je me suis vraiment battu avec l’individu.
Alex Marcotte, 29 ans, ancien policier de la SQ
Les images ont circulé sur les réseaux sociaux. « Tu as envie de crier aux gens : ‟J’ai bien fait ma job !” », dit M. Marcotte. Mais le « modèle d’emploi de la force » est difficile à comprendre pour la population, croit-il.
« Ça ne marchait pas dans ma tête »
Puis, en décembre dernier, Alex Marcotte a renoncé à son rêve de « petit gars » et a démissionné de la SQ à la suite d’une autre intervention particulièrement difficile. Trois semaines après les faits, il avait commencé à ressentir des douleurs thoraciques et de l’anxiété, raconte-t-il. « Quand je voyais un char de police passer, je devenais anxieux », relate l’homme, qui était policier à la Sûreté du Québec depuis décembre 2019. L’évènement est toujours examiné par le Bureau des enquêtes indépendantes.
Alex Marcotte a contacté La Vigile. Avec l’aide du psychologue, il a pu accepter le fait qu’il souffrait d’un trouble de stress post-traumatique, relate-t-il. Impossible pour lui de retourner travailler. « Dès que je m’imaginais retourner patrouiller, ça ne marchait pas dans ma tête », raconte M. Marcotte, qui travaille maintenant en administration.
Alex Marcotte déplore le peu de soutien reçu par son organisation. « Quand l’évènement est arrivé, j’ai eu un appel manqué de la prévention de la Sûreté du Québec, raconte-t-il. Ils ne m’ont jamais rappelé et ils n’ont même pas laissé de message. »
« Le poids de l’uniforme est lourd en 2022 »
Selon Julie*, policière qui est entrée au SPVM dans les années 2000, les agents de la paix « ne sont plus respectés ». La couverture médiatique de certains évènements crée de la méfiance envers les policiers. « Le poids de l’uniforme est lourd en 2022 », souligne la femme de 44 ans, en processus pour faire reconnaître une invalidité permanente. Comme elle est toujours employée du corps policier, elle a demandé l’anonymat.
Il y a sept ans, Julie a reçu un diagnostic de dépression majeure. Elle avait vécu deux évènements traumatisants au travail. En 2010, elle est intervenue lors d’un accident impliquant un chauffard et trois jeunes filles grièvement blessées. Trois ans plus tard, elle a été marquée par le meurtre d’un chauffeur de taxi. Depuis 2015, elle est tombée sept fois en congé de maladie. Son dernier retour progressif date de juin 2021. Après six jours, elle a dû quitter le travail.
Je suis trop fragilisée. On a pressé le citron et il n’y a plus de jus dedans.
Julie*, policière du SPVM
Julie vit toujours avec des séquelles. « Je sursaute à rien, raconte-t-elle. Je viens les bras engourdis et j’ai des sueurs. » En tant que policière, elle aurait aimé travailler en santé mentale. Pour que sa souffrance « serve à [son] organisation », affirme-t-elle. Mais on le lui a refusé.
Hospitalisée en 2018, Julie confie que le fait de passer de l’uniforme à la chemise d’hôpital est particulier. « On ne peut pas être traité comme n’importe qui », dit-elle.
« Ça prend un service d’aide spécialisé »
Au SPVM, des psychologues se consacrent exclusivement aux agents de la paix, ce qui fait qu’ils « comprennent la réalité policière », explique Yves Francœur. Contrairement à Montréal, le reste des policiers municipaux bénéficient du même programme d’aide que les autres employés des villes, explique François Lemay, de la Fédération des policiers municipaux du Québec.
« Ça prend un service d’aide spécialisé pour les policiers. La nature du travail fait qu’on ne peut pas se comparer à personne », soutient M. Lemay.
Si on ne prend pas des décisions immédiates, dans quelques années, on sera dans une situation bien pire que celle d’aujourd’hui.
François Lemay, de la Fédération des policiers et des policières municipaux du Québec
Selon Dominic Ricard, à la SQ, un « programme panquébécois » est nécessaire pour « l’ensemble de la communauté policière ».
Joint par La Presse, le SPVM dit prendre au sérieux les enjeux de santé psychologique, mais ne pas pouvoir « commenter des données auxquelles il n’a pas accès et dont il ne connaît pas la méthodologie ». La Sûreté du Québec n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.
Des travailleurs « plus vulnérables »
Les policiers québécois sont « plus vulnérables » psychologiquement que les autres travailleurs en raison des évènements traumatisants qu’ils peuvent vivre au travail, soutient Andrée-Ann Deschênes, professeure de gestion en sécurité publique à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières. « Il faut prendre en charge le milieu policier maintenant », estime-t-elle.
Consultations tardives
Si le nombre de consultations psychologiques a augmenté chez les policiers, c’est aussi le cas pour d’autres professions, soutient Andrée-Ann Deschênes. Le milieu policier ne va donc « pas plus mal qu’un autre », conclut Mme Deschênes. Cette dernière a été experte-conseil pour le volet santé mentale du rapport du comité consultatif sur la réalité policière au Québec. Ce qui distingue les agents de la paix, c’est que « lorsqu’ils ne vont pas bien, ils ne vont vraiment pas bien », précise-t-elle. Ils attendent souvent trop longtemps avant de consulter, dit-elle. En plus du manque de services psychologiques adaptés à la réalité policière, l’aide offerte à ces travailleurs n’est pas uniforme à travers la province, soulève-t-elle.
Idées suicidaires
Selon Andrée-Ann Deschênes, il n’y a pas plus de suicides chez les policiers que dans la population générale. Par contre, les agents de la paix ont plus d’idées suicidaires, souligne Mme Deschênes. Selon une étude de 2018, 8,3 % des policiers municipaux et provinciaux au Canada ont déjà songé au suicide. En ce qui concerne la police fédérale, cette proportion s’élevait à 9,9 %. Dans le reste de la population, 5,8 % des citoyens rapportaient avoir déjà eu des idées suicidaires. Les policiers pensent davantage à se donner la mort parce qu’ils connaissent les moyens efficaces pour le faire, explique Mme Deschênes. « Ils possèdent aussi le trait de l’impulsivité, un trait reconnu chez les personnes suicidaires », souligne-t-elle.
Évènements traumatisants
En 2017, un policier québécois sur deux affirmait avoir vécu un évènement potentiellement traumatisant durant sa carrière, rapporte Andrée-Ann Deschênes. Un agent de la paix est plus à risque de vivre de la détresse psychologique lorsqu’il a entre 6 et 20 ans d’expérience, indique la professeure. « Une des hypothèses est qu’après six ans, je me rends compte que moi qui voulais sauver le monde, je suis toujours dans des situations plus noires que noires », explique-t-elle. Ne pas avoir atteint ses objectifs professionnels à cette période pourrait aussi être l’un des facteurs, souligne-t-elle.
Image : Photomontage La Presse